Essai Facebook : À quand la fin de cette discrimination?
Essai Facebook : À quand la fin de cette discrimination?
Societas Criticus, revue de critique sociale et politique, Vol. 25-03 : www.societascriticus.com
Michel Handfield, M.Sc. Sociologie, 2023-04-15 (d’après mon Facebook du 2023-04-03)
Si loin, si près
Peut-être qu'un jour il va falloir regarder si les autochtones sont si autochtones que ça et nous, les « Canadiens français de descendance européenne », si européens que ça. En fait, j’ai l’impression qu’avec les siècles on est davantage mélangés qu'on ne le croit et que l'on est génétiquement plus près les uns des autres que différents, du moins pour les communautés qui sont voisines. Il y a certainement eu des mariages mixtes dans ces communautés qui pouvaient se côtoyer de près, comme celles qui sont aux limites de nos villes. Pour celles en régions éloignées des grands centres, c’est peut-être plus rare maintenant, mais du temps des coureurs des bois c’était certainement possible. D’ailleurs, les métis sont des descendants de cette mixité. (1) Et si nous n’en sommes pas nécessairement de manière personnelle, on peut être apparenté de façon indirecte par des parents qui le sont, comme un frère ou une sœur par exemple. (2)
Culturellement, par contre, on a créé des fossés au point de s’ignorer avec le temps et l’Église n’y est pas étrangère. (3) Dans mon commentaire sur le film QUÉBÉKOISIE, j’écrivais d’ailleurs ceci en 2014 :
« En fait, l’Amérique est une vaste nation métisse, française et autochtone, qu'on a effacée parce que l'autochtone était déconsidéré dans la hiérarchie des Hommes. (4) Le clergé nous a donc enseigné qu'on était Français pour ne pas que le canadien-français ne soit plus déconsidéré qu'il ne l'était déjà de par sa langue en comparaison de celle du dominant, l'anglais, s'il avait été considéré comme métissé! « Mais, c'est grave ! » nous dit l’anthropologue Serge Bouchard dans ce film, car on perd nos racines et notre histoire. » (5)
Il faudrait peut-être commencer à penser qu'on est le même peuple, écoutant parfois la même télé, ayant les mêmes « trucks » et étant finalement davantage semblables que différents les uns des autres.
Ces différences ont été créées pour faire des frontières artificielles entre les autochtones et les Canadiens français et nous élever un peu dans la hiérarchie des peuples en Amérique. Mais, si ça rapporte surtout à quelques-uns, ça tient une grande majorité en otage ou à leur service. C’est d’ailleurs « le principe sur lequel les puissances impériales ont de tout temps assis leur domination : diviser pour régner. » (6)
La question est donc : à qui cela fait-il l'affaire, aujourd’hui, de tenir à cette séparation, voir cette exclusion? On pourrait bien dire qu’elle fait l’affaire des Québécois – les anciens Canadiens français – qui peuvent y voir un certain sentiment de supériorité. Mais, c’est une justification bien mince quant à moi.
La question m’apparait bien plus profonde à la lecture du Devoir de ce matin : Rien ne va plus au conseil de bande de Kanesatake. (7) Se pose alors deux autres questions fortes importantes :
- Certains autochtones jouent-ils sur cette différence, sur cette autonomie des peuples autochtones, pour ne pas respecter les lois en vigueur?
- Profitent-ils de cette autonomie pour abuser des leurs? (8)
Malheureusement, ce peut être le cas.
L’exemple de l’environnement à la rescousse
On dit souvent que la protection de l'environnement fait partie des gènes autochtones. Mais, si je me fie toujours au Devoir de ce matin, Un site de recyclage contaminé en héritage à Kanesatake (9), l'environnement n’est pas également l’affaire de tous les autochtones. La réserve semble même parfois devenir une forme de protection contre les lois environnementales en vigueur :
« Le ministère tient à rappeler que le site de G&R Recyclage ne fait pas partie du « passif environnemental du Québec ». Même si Québec a fourni les autorisations nécessaires à ses opérations par le passé, le site situé sur le territoire de Kanesatake ne relève pas des autorités provinciales.
Quant à lui, Environnement et Changement climatique Canada répond au Devoir que le dossier n’est pas de son ressort. Il renvoie à Services aux Autochtones Canada, ministère responsable de l’accès des services auprès des communautés autochtones. » (10)
N'est-ce pas là une forme de discrimination et de passe-droit tout à la fois? Surtout que dans une réponse au Devoir « le porte-parole du ministère, Randy Legault-Rankin, nous écrit que « Services aux Autochtones Canada n’a pas de mandat d’application de la loi en environnement » ». (11) Bref, ils profitent d’un vide juridique !
Pourtant, nous sommes tous des humains pas mal semblables. En fait, nous sommes tous de la même espèce : homo sapiens. Comme pour les arbres, certains sont plus droits, d’autres plus croches, mais, finalement, on est probablement tous quelque part dans la moyenne des humains.
Que certains utilisent les territoires autochtones comme des zones franches pour ne pas respecter certaines lois pose certainement un problème pour une majorité des autochtones, car cela leur donne une mauvaise réputation et les associe à des groupes criminels dont ils deviennent aussi des otages et des victimes. C’est que ceux qui profitent de ces divisions pour faire leurs affaires - dont différents trafics que ce soit de cigarettes, de drogues, d’armes et peut être d’êtres humains (12) - ont aussi souvent les moyens d’imposer la loi du silence aux autres. Et, le problème persiste, empire et ne concerne plus que les réserves. Il déborde au point d’en faire...
Un problème pour la société de droits
Car, certaines lois ne s'appliquent plus également sur le territoire. Alors, à quand la fin de cette discrimination? Et, nous en sommes en partie responsables par la « loi sur les indiens » qui les met en quelque sorte sous une double tutelle : celle du gouvernement (un relent du colonialisme britannique) et de leurs dirigeants, car ce régime n’est pas des plus démocratiques non plus.
Cette question est importante, car si ici elle concerne les autochtones, ce n’est qu’un exemple du modèle impérial de « diviser pour régner » dont je parlais plus haut. Ailleurs, cela pourrait concerner les zones franches en matière d'économie ou les dictatures dans la géopolitique mondiale, car, n'en déplaise aux conservateurs, les problèmes qu'ils imputent à la mondialisation sont d’abord des problèmes humains qui datent de la nuit des temps : pour faire de l'argent, certains feront tout pour contourner légalement les lois et la justice sociale, parlant même de créativité fiscale ! Si aujourd'hui on maquille une usine en modèle de responsabilité lorsque vient de la visite, autrefois on maquillait une vieille pouliche en jeune jument pour la vendre à profit ! On pourrait aussi maquiller un esclave en bénévole ou en travailleurs volontaire, car il suffit de savoir s’y prendre et de gagner son adhésion. La servitude volontaire est un principe qui n’est pas nouveau. La Boétie l’a très bien décrit d’ailleurs. (13)
Ou vous êtes avec nous, ou vous êtes contre nous (14)
L'humain trouve toujours des moyens de dire « eux et nous » pour solidifier son groupe et se différencier des autres.
Dans le cas de groupes organisés, cela va plus loin, car le ou les leadeur(s) exacerbent la ou les différences de son groupe avec les autres pour en montrer la supériorité ou la nécessité de s’unir pour se défendre face aux autres, mais aussi y retenir ses membres et même les mobiliser pour la cause.
Ces groupes peuvent être de tous genres et de différentes causes que ce soit un groupe politique, ethnique, religieux, criminel, sportif, culturel, économique et même, parfois, représenter ou défendre une certaine classe sociale. Le spectre est large. Il peut aussi être tout simplement lié à une zone ou un territoire géographique. Sur ce dernier point, nous pouvons penser aux gangs de rues qui s'identifient à un secteur, comme un parc; une ligne d'autobus, une école ou un quartier par exemple.
Leurs actions peuvent aller de la simple camaraderie à l’action violente, en passant par la rédaction de tracts revendicatifs ou vindicatifs; la manifestation pacifique; se battre pour la cause de leur vie ou même tenter de renverser un gouvernement ou soutenir une action militaire commandée par leur chef charismatique. On peut penser au trumpisme par exemple. Qui sait jusqu’où ils peuvent aller.
Dans le cas de certains leadeurs politiques ou religieux qui ont un fort ascendant sur leur base et qui savent bien manier l’idéologie et le contrôle, cela peut devenir dangereux pour leurs opposants, car ils peuvent soulever des masses pour forcer le renversement d’un gouvernement ou envahir un pays voisin soi-disant pour le bien commun. Et, ils seront suivis aveuglément par une masse de fidèles qui ne demandent rien de mieux que de suivre leurs leadeurs, car ses paroles représentent la cause de leur vie et même leur salut, croient-ils.
C’est que les idéologies et les croyances sont des vecteurs d’action très puissants pour contrôler ou faire agir les masses à qui sait les manipuler ! En certaines mains, la manipulation peut être une arme puissante.
En conclusion : quand même le marketing joue sur cette notion de tribu !
D’autres groupes, enfin, sont beaucoup moins dangereux, car il s’agit de groupes qui se différencient sur la base d’une identification à un produit ou une marque de commerce, le marketing aidant !
C'est tellement vrai que même la publicité joue sur ces cordes sensibles (15) pour fidéliser sa clientèle. On fait par exemple des rassemblements ou des évènements autour des lancements de produits de certaines grandes marques pour attirer les fidèles qui en sont aussi les meilleurs ambassadeurs. Pensons aux lancements des nouveaux produits d’Apples, entreprise qui est passée maitre dans ce type de marketing évènementiel. C’est aussi le cas de certains lancements de films de science-fiction qui ont leurs nombreux fidèles qui en parleront ensuite dans leur entourage. Et, que dire du statut associé aux montres Rolex. Pourtant, elles ne donnent que l’heure ! Un produit facilement accessible que l’heure, car elle est affichée presque partout gratuitement. Mais, ces montres sont un marqueur de statut social qui se vend au prix fort.
Bref, quand même le marketing joue sur cette identification à une marque présentée comme un facteur distinctif, un statut en opposition aux autres, on n’est pas sorti de ce « eux contre nous ». Vouloir se distinguer et se rassembler entre semblables fait partie de notre essence, de notre culture et, peut-être, de nos gênes. Que dire de plus?
Notes
1. Comme je ne suis pas anthropologue, je dirais qu’il faut regarder de ce côté pour en savoir davantage sur ce sujet. Mais voici une source que j’ai retenue :
Cornelius J. Jaenen, Relations entre les Autochtones et les Français, L’encyclopédie canadienne :
https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/relations-entre-les-autochtones-et-francais
2. Et nous pouvons poursuivre avec un oncle, une tante; un cousin, une cousine; un grand-oncle, une grande tante, ce qui peut remonter à deux, trois, quatre générations, car cela demeure parfois longtemps dans les histoires de familles.
3. Gérard Bouchard, L’image péjorative des Autochtones, Le Devoir, 4 décembre 2021 :
https://www.ledevoir.com/opinion/idees/651843/point-de-vue-l-image-pejorative-des-autochtones
4. Tout ça dans la foulée de la théorie du comte Arthur de Gobineau, Essai sur l'inégalité des races humaines, parue en 1853 et qui a conduit à la théorie du nazisme de la supériorité de la race arienne! On ne voulait donc pas être assimilé à des sous-races, d'où cette importance accordée à notre pureté française! À ce sujet, voir :
- http://en.wikipedia.org/wiki/Racism
- https://en.wikipedia.org/wiki/An_Essay_on_the_Inequality_of_the_Human_Races
- http://fr.wikipedia.org/wiki/Essai_sur_l'inégalité_des_races_humaines
5. Handfield. Michel, QUÉBÉKOISIE (commentaires sur), in D.I., Delinkan Intellectuel, revue d'actualité et de culture, Societas Criticus, Vol. 16 no 2 (2014), Textes ciné et culture. À BAnQ : https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/61248
À BAC : https://epe.lac-bac.gc.ca/100/201/300/societas_criticus/
6. Marglin, Stephen A., Origines et fonctions de la parcellisation des tâches. À quoi servent les patrons?, in GORZ, A., 1973, Critique de la division du travail, Paris, éd. du Seuil, coll. Point.p. 53
7. Ulysse Bergeron, Rien ne va plus au conseil de bande de Kanesatake, Le Devoir, 3 avril 2023 :
8. On pourrait dire la même chose des leadeurs religieux qui profitent de l’autonomie conférée à la religion pour abuser de leur pouvoir ecclésiastique en toute impunité que ce soit sur leurs fidèles ou sur les autres, car il y a un aura de confiance associée à leur statut qui les sert même hors de leur groupe religioculturel.
9. Ulysse Bergeron, Un site de recyclage contaminé en héritage à Kanesatake, Pôle environnement, Le Devoir, 3 avril 2023 :
10. Ibid.
11. Ibid.
12. Trois textes pour résumer le tout, mais il s’en trouve d’autres par une recherche Google :
- AFP - afp.com/Ian Willms, Canada: vaste opération policière contre un groupe criminel international, L’express, 30/03/2016 :
- Pascal Robidas, La partie québécoise du fleuve Saint-Laurent à Akwesasne sera surveillée en permanence, Ici Grand Montréal (Radio-Canada), 9 juin 2022 :
- Radio-Canada, Un programme pour la traite des personnes dans les Premières Nations, 8 juin 2022 :
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1889633/premieres-nations-traite-de-personnes-ontario
13. La Boétie, Étienne de, 1576, Discours de la servitude volontaire : https://fr.wikisource.org/wiki/Discours_de_la_servitude_volontaire
14. https://fr.wikipedia.org/wiki/Ou_vous_êtes_avec_nous,_ou_vous_êtes_contre_nous
15. Du titre d’un ouvrage québécois de Jacques Bouchard : Les 36 cordes sensibles des Québécois. Voir sur Wikipédia :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_36_cordes_sensibles_des_Québécois