Essai Facebook : Avant de rejeter nos démocraties...

 

Essai Facebook : Avant de rejeter nos démocraties...

For the english version: https://societascriticus.blogspot.com/2024/02/facebook-essay-before-rejecting-our.html

Societas Criticus, revue de critique sociale et politique, Vol. 26-01 : www.societascriticus.com


Michel Handfield, M.Sc. Sociologie, 2024-02-21 (d’après ma série de posts Facebook du 2024-02-18)


Avant de rejeter nos démocraties et de flirter avec le totalitarisme, il faudrait probablement les réformer au lieu de les dénigrer et d’envier la force de Poutine par exemple. C’est pareil pour l'ONU qui devrait avoir davantage de pouvoirs d'intervention dans le monde pour y jouer un rôle de gardien de la paix. Mais, difficile à faire avec le droit de véto de certaines grandes puissances qui siègent au Conseil de sécurité des Nations unies : Chine, France, Royaume-Uni, Russie et États-Unis.


Il nous faudrait aussi faire plus de place à la science et à l’éducation, mais on heurtera des valeurs et des croyances ce faisant. Et, ces valeurs et croyances sont souvent considérées comme des droits fondamentaux. Pensons seulement à l’éducation religieuse. Donc, sur les questions sociales, politiques et économiques l’on est souvent dans des points de vue. Ce qui fonctionne à un endroit, pour des raisons de culture, de croyances et d’éducation ne fonctionnera pas nécessairement ailleurs. C'est tout le problème auquel font face les pays qui veulent exporter et reproduire de force leur modèle ailleurs dans le monde : ça fonctionne rarement ! Les degrés de développement et les différences culturelles entre les peuples nécessitent des solutions différentes. Ça semble une loi universelle en sciences humaines et sociales. (1)


Sans en être conscient, à trop négliger science et démocratie on donne plus de pouvoirs aux dictatures et aux théocraties qui veulent gouverner sans partage. Eux ne s'empêtreront pas dans les règles du savoir ou du droit international pour agir selon leur bon vouloir ou leurs croyances. Attaquer une région ou un pays au nom d’une croyance, d’un droit divin ou pour lutter contre le « malin » selon leur conception de celui-ci ne les rebutera pas. Une large part du peuple pourra même les suivre sur cette voie, les croyances étant souvent plus fortes que la raison. Sataniniser l’autre en est une tactique. On le voit dans le conflit israélo-palestinien où la religion a sa part. La même chose est vraie en Russie où l’Église orthodoxe russe soutient Poutine dans son combat contre « les forces du mal » (2). Le trumpisme va aussi chercher une large part de ses votes du côté des groupes chrétiens fondamentalistes.


Quant à moi, je crois que l’on risque de le regretter si on ne revient pas à la raison. Mais, pour cela, il faudrait aller au-delà de l'éducation utile et donner des bases en sciences, sciences humaines et sciences sociales à l'école. Il faudrait aussi étendre l’enseignement séculier à l’échelle de la planète pour combattre une certaine forme d’ignorance, mais cela passerait très mal dans certains pays; même dans certains milieux religioconservateurs occidentaux pour qui le savoir séculier est idéologique. On n’est pas sorti de ce marasme.


En fait, on y plonge de plus en plus profondément, les sociétés et le monde étant de plus en plus clivés entre camps adverses qui se parlent de moins en moins. Certains ont même intérêt à faire taire l’autre côté. Le dialogue et les ponts sont donc de plus en plus fragilisés dans une large part de la population, voire rompus.


Depuis la montée des réseaux sociaux et des chambres d’écho (3), on remarque que chacun choisit de plus en plus son camp selon ses croyances et s’y isole. Même dans les familles, certains ne se parlent plus et sont bloqués par des membres de leur famille sur leurs réseaux sociaux. Le liant social s’amincit dangereusement et les espaces communs rétrécissent.


Polarisant et dangereux pour les démocraties, mais aussi pour les dictatures !


Le risque de violence étatique ou de conflits civils s’accroit alors considérablement, car le Pouvoir et les groupes sociaux acceptent de moins en moins le pluralisme et cherchent de plus en plus l’adhésion monolithique et à faire taire les opposants. Les risques de conflits entre ces groupes sont donc grands, surtout dans les régimes non démocratiques, car ils n’offrent pas un cadre de débats sécuritaires entre groupes opposés comme le font les élections démocratiques, le parlementarisme et toute une série d’institutions publiques et privées favorisant les débats. Les conflits peuvent donc se retrouver plus facilement dans la rue et dégénérer plutôt que dans les pages éditoriales et d’opinions des journaux par exemple.


Il n’est pas dit cependant que cela ne peut pas arriver dans un régime démocratique comme on l’a vu le 6 janvier 2020 avec l’assaut du Capitole par des partisans de Donald Trump (4), mais il y a quand même des garde-fous démocratiques. Naturellement, si un ou des mouvements sociaux ne suivent plus les règles, les dérapages sont possibles.


En fait, plus le Pouvoir est fort, plus il usera de sa force pour faire taire cette opposition. On le voit d’ailleurs en Russie où les opposants au régime sont arrêtés et emprisonnés (5), voire éliminés dans certains cas. La journaliste Anna Politkovskaïa a d’ailleurs gouté cette médecine à Moscou le 7 octobre 2006 à ce qu’on en croit. (6, 7)


Le nouveau clivage


Cette dictature élective de Poutine est soutenue par les milieux les moins instruits et les régions par opposition aux villes. Mais, ce nouveau clivage n’est pas que russe.


On voit de plus en plus poindre un clivage entre libéraux et conservateurs; entre mondialisme et nationalisme; entre villes et régions dans le monde; entre le vrai monde contre les intellectuels et les universitaires; entre la religion et le savoir, la science et l'environnement - les changements climatiques n'existant pas, car c'est Dieu qui envoie des messages selon les plus conservateurs ! On revient à l'obscurantisme au nom de la liberté de croyance par exemple.


Ça me fait penser à la droite qui me parle du vrai monde. De l'idéologie de bas étage pour flatter les électeurs naïfs. En effet, si le faux monde n'existe pas, le vrai monde n’existe pas non plus. Ce n’est qu’une vue de l’esprit.


En fait, même si plusieurs veulent opposer la Russie et la Chine à l'Occident, ce conflit est plus profond que cela et traverse même le monde occidental. Suffit de voir Trump et Poutine s'autoallimenter avec leur droite religieuse et Xi Jinping avec l'orthodoxie communiste pour comprendre que la Russie, la Chine et la droite occidentale se rejoignent dans un antimondialisme, le repli sur soi et un retour du conservatisme (religieux et politique). Si les journalistes ne le voient pas, moi je trouve que ça ressemble pas mal à une révolution néoconservatrice et nationaliste. Certains voudraient revenir à deux blocs ou se refermer sur leur pays, ce que propose le trumpisme, qu’ils ne feraient pas autrement. (8)


Un nouvel utopisme


Cela m’apparait un nouvel utopisme, car il est difficile de vivre dans un repli national ou dans une mondialisation surassumée qui effacerait tout caractère national. En fait, on vit sur un continuum sur lequel le point d'équilibre bouge tout le temps pour nous maintenir en équilibre quelque part entre le monde et la nation, car nous ne pouvons faire partie de l’un sans faire partie de l’autre. D’ailleurs, les nations font partie du monde et le monde est constitué des nations. Telle est la réalité, on n’en sort pas.


Même si l'humain croit que les choses doivent être stables et immuables, c’est faux. Par exemple, si une année on a moins de miel, on en importe. Si une année on en a plus, on l'exporte. Le problème c’est que le capitalisme demande une hausse continue des rendements, ce qui devient intenable pour les peuples et la planète. Ça ne peut que créer des tensions. Les scientifiques et les intellectuels le comprennent, mais ne sont pas assez écoutés.


Pour se donner bonne conscience, on pourrait aussi croire que le capitalisme est un mal occidental. Mais, le capitalisme n’a pas de frontière « et est actuellement le système économique de la plupart des pays de la planète. » (9)


Le monde global


Du capitalisme, qu'il soit financier ou étatique (Chine), comme de la politique, des idéologies et des relations internationales, tout cela fait partie du monde global. La Chine qui prend plus de place en Afrique, ou avec la Russie et le Brésil dans les BRICS+ (9), ce n’est pas désintéressé.


Pensez-vous qu’il n' y a pas d’objectifs de domination, d'exploitation et de contrôle des marchés et des richesses naturelles derrière ces alliances? Il ne faut pas être naïf : on vit dans le monde même si on s'isole !


En conclusion


Si on ne veut pas être écrasé dans ce monde, il faut favoriser la démocratie, car c’est encore le moins pire des systèmes. Cela ne signifie pas qu’on ne doit pas l’améliorer même si ce n’est pas facile à faire, les gens au Pouvoir préférant toujours l’immobilisme qui les laisse en place. Ce n’est pas pour rien que les partis d’oppositions qui revendiquent la proportionnelle sont beaucoup moins chaud à la faire une fois au pouvoir, car le système en place les a servis en leur donnant une majorité.


Notes


1. Mais attention ici. Du même souffle, cela signifie que l’on peut difficilement trouver des lois universelles en sciences humaines et sociales. Inversement les sciences pures le peuvent plus facilement, car leur objet d'étude est différent. Leurs méthodes le sont aussi. C'est ce qui explique que si les discussions sont possibles en sciences humaines, elles le sont beaucoup moins en santé ou en physique qui fonctionne sur des protocoles expérimentaux. Ne suffit pas de dire qu'un médicament fonctionne pour que ce soit possible. Il faut d’abord en faire l'expérimentation, en suivant des protocoles préétablis, en voir les limites et si les résultats sont reproductibles. Plusieurs ne comprennent pas cette méthode par manque de formation en science pour tous à l'école. Quand je dis qu’il faut améliorer l’éducation, en voilà un exemple.


2. Émilie Dubreuil, Un patriarche va-t-en-guerre divise l’Église orthodoxe, ici.radio-canada.ca/nouvelle, 18 mars 2022 :

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1869884/patriarche-guerre-eglise-orthodoxe-moscou-ukraine


3. https://fr.wikipedia.org/wiki/Chambre_d%27écho_(médias)


4. https://fr.wikipedia.org/wiki/Assaut_du_Capitole_par_des_partisans_de_Donald_Trump


5. Agence France-Presse, Hommage à Alexeï Navalny. Plus de 150 personnes condamnées à la prison, La Presse, 18 février 2024 :

https://www.lapresse.ca/international/europe/2024-02-18/hommage-a-alexei-navalny/plus-de-150-personnes-condamnees-a-la-prison.php


6. Vincent Larin, Mort d’Alexeï Navalny. Une longue liste d’opposants pris pour cible, La Presse, 17 février 2024 : https://www.lapresse.ca/international/europe/2024-02-17/mort-d-alexei-navalny/une-longue-liste-d-opposants-pris-pour-cible.php


7. Poutine a fait taire les journaux indépendants en Russie et a sorti la plupart des médias occidentaux du pays au début du conflit avec l’Ukraine, créant ainsi un vide de l'information. Il ne peut donc pas s'en prendre aux médias occidentaux pour ne pas rapporter son point de vue maintenant. Remarquons que c'est peut-être mieux ainsi pour lui, s’il ne voulait pas répondre de ses actes. C’est du moins mon point de vue.


8. Autrefois on parlait du bloc communiste ou de l’Est et du bloc capitaliste ou occidental, conduits par l’URSS et les États-Unis. Ce serait maintenant les BRICS+ (10) versus le bloc des pays démocratiques ou de l’OTAN. Mais, vu la montée de la droite nationaliste dans certains de ces pays, ce dernier bloc est menacé, certains pays voulant se replier sur le nationalisme. On l’a vue avec la sortie de l’Angleterre de l’Union européenne par exemple et on le voit poindre avec Trump qui menace de sortir les États-Unis de l’OTAN s’il est élu. Il voudrait même faire des murs au nord (Canada) et au sud (Mexique) du pays.


9. https://fr.wikipedia.org/wiki/Capitalisme


10. https://fr.wikipedia.org/wiki/BRICS%2B

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